Ce récit reflète mon style d'écriture, sans toutefois être représentatif des écrits biographiques que je réalise pour mes client·e·s. Ma propre voix s'efface alors au profit de celle du ou de la biographié·e.
De loin et de dos, on dirait une adolescente. Moulée dans un bleu de travail aux extrémités rabotées, elle m’arrive à peine à l’épaule. Ses petits yeux ronds ne cessent de voyager de ma tête à mon ventre, n’hésitant pas à s’attarder sur mon buste, dépouillés de toute gêne.
Mon regard se pose sur la repousse grise de ses cheveux rouille, négligemment attachés en un chignon plus pratique qu’esthétique.
Ses mains sont minuscules et à la peau asphyxiée, conséquence de toutes ces heures passées confinées dans des gants de latex. Quelle étonnante coquetterie dans cet univers d’huile, de poussière et de graisse.
Son atelier, c’est toute sa vie. Quinze ans qu’elle la passe entre ces murs, à peine plus grands qu’elle.
Les profonds sillons gravés sur son visage laissent deviner une addiction à la cigarette, que me confirment les bouts jaunis de ses doigts. Sa voix rauque et son ton direct collent au tempérament que je projette sur le personnage. Fascinée, j’enregistre chaque détail de cette rencontre inattendue.
Si ce n’était pour ce débris de verre aperçu trop tard, nos chemins ne se seraient sans doute jamais croisés. Une chambre à air éclatée à deux rues de son atelier. Providence, hasard, destin ?
Le bruit étouffé d’une selle qui frappe le sol interrompt mes considérations philosophiques… « Voilà, comme neuf ! » me dit-elle. À nouveau ce regard obstinément baroudeur.
Elle rigole, j’ignore pourquoi. J’aime ce rire. Elle m’amuse. Je l’imagine à dix ans, clamant haut et fort quel serait son métier. Quelle force de caractère et quelle détermination auront dû être nécessaires pour permettre à cet endroit de voir le jour !
Indifférente à mon regard intrigué, elle me fait comprendre que notre échange est terminé. Deux mains qui se serrent, un ultime glissement d’œil, le craquement de mes pieds sur le parquet effrité, une porte en verre qui claque…
Saisie par un frisson, je quitte les lieux, un large sourire aux lèvres...
© 2019 Anouchka Nyssen
Écrivain des Mémoires – Tous droits réservés
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